Coup de gueule .Maroc

Une condition scandaleuse que je vis et dont je suis le premier témoin m’amène à rédiger dans une vaine de colère et de ras le bol ce message que j’espère sera entendu et compris et dont des actions découleront rapidement !

Je suis fille du prisonnier de guerre MAROCAIN, le capitaine Ali Atmane, qui a été prisonnier pendant 26 ans dans les prisons d’Algérie et du Polisario. Après son rapatriement par le Comité International de la Croix Rouge le 01/09/2003 il a été mis à la retraite correspondant à son éternel grade de capitaine. Je n’étais qu’un bébé de 15 jours quand mon père, cet officier émérite des Forces Royales Air Marocaines, a été capturé par l’ennemi de mon pays près de la ville de Boujdour le 24 août 1977. Il a vécu un calvaire de 26 ans dans plusieurs prisons sur le sol Algérien. Une période que j’ai personnellement vécue avec résignation et un destin que j’ai chaque jour combattu avec une force que je tirais de l’espoir de sa libération. Mais quelle amertume cette libération et quelle déception ce retour à la mère patrie ! Dans mes plans d’avenir, jamais je n’avais envisagé devoir un jour être amenée à pousser ce coup de gueule qui vient des tripes. Libéré en 2003, lui et ses compagnons d’infortune survivants de l’enfer des geôles algériennes et polisariennes, sont reçus au Maroc avec l’ordre de ne jamais évoquer un quelconque droit à réclamer et encore moins penser ou imaginer une régularisation de grade. Pire encore, pour se défaire des habits délabrés suintant la torture, l’absence d’hygiène et la famine ils reçoivent en guise de nouvelle garde robe, une tenue folklorique composée de « saroual » « gandoura » bonnet multicolore et « belgha ». Mon père qui était aux commandes d’un avion F5 et qui portait une combinaison de vol après l’éjection de son avion en flammes s’est retrouvé, au retour dans son pays, avec une tenue digne des amuseurs de singes de Jamaa el fna. Cet acte est un message très fort mais que veut-il dire ? Soit …. Après 26 ans d’attente du retour du Porté disparu -comme l’a toujours attesté le certificat remis par l’institution militaire, une appellation qui m’a toujours perturbée et qui me forçait enfant déjà à expliquer à mes interlocuteurs le pourquoi du comment de cette bizarrerie-, voilà la nouvelle attente depuis 2003 que le sort de ces zombies de la guerre soit défini au Maroc …. A sa libération mon père avait 56 ans, mis à la retraite au grade de Capitaine et aucune indemnisation pécuniaire. Depuis, parce que ces gens ont besoin d’assurer des sources de subsistance pour leurs vieux jours, ils essaient, malgré des décennies de décalage avec la société qu’ils réintègrent, de créer des opportunités de travail et de revenus. Ainsi, depuis quelques années, mon père a acquis un local à Meknès qu’il a choisi de convertir en épicerie de quartier et a établi un contrat de gérance au profit d’un personnage présentant toutes les garanties du bon gérant. L’histoire est un classique dans le quotidien marocain, installation dans le local déjà équipé, versement à mon père les premiers mois de la somme convenue et un jour il décide de ne plus honorer les mensualités. Les mois s’accumulant, mon père porte plainte au tribunal commercial, après moult négociations et promesses non tenues. Et voilà qu’un jour mon père se retrouve convoqué au poste de police pour répondre aux questions parce que le gérant escroc a déposé une plainte bidon. L’enquête de la police s’est déroulée dans le respect de la dignité avant que mon père ne soit conduit au tribunal de première instance pour être présenté au procureur du Roi. Mon père a été placé de bon matin dans une sorte de court gardée au milieu des voleurs, des agresseurs et autres spécimens, certains étaient menottés et d’autres non. Après trois heures d’attente mon père est conduit dans le bureau de monsieur le procureur du roi. Ce haut magistrat placé au fond de son grand bureau a débité une longue série de reproches à mon père sans lui laisser l’occasion de parler avant de lui dire : Sort.

Aujourd’hui mon père se rend à chaque audience au tribunal pénal et est directement placé au banc des accusés ! L’accusateur ne se présente pas et la séance est toujours reportée. Mon père se présentera pour la quatrième fois le 29 mai prochain. Dans une autre, vie, un autre pays, une autre culture surtout du respect de l’humain, mon père aurait le surnom d’un Héros de la Nation. Aujourd’hui à 70 ans, mon père est un accusé présumé coupable, ignoré de sa patrie et humilié dans sa dignité. Et là n’est qu’un mince aperçu des mésaventures que notre famille ne cesse de vivre depuis qu’elle existe … Finalement la frontière entre ses 26 ans de détention et ses 14 ans post libération est tenue. Est-ce qu’une quelconque autorité compétente, et s’il n’y en a pas, qu’elle soit vite créée, va enfin et rapidement se pencher sur les conditions de vie des prisonniers de guerre marocains et de leurs familles ? Existe-il une notion de Programme ou service de soutien aux familles des militaires ? Il serait peut être grandement temps d’être réactif face à des situations d’urgence humaine et de considérer avec beaucoup plus de sérieux les dommages émotionnels causés par des agissements totalement irresponsables. Arrêtons de bafouer la dignité des personnes qui ont livré leurs vies et celles de leurs familles pour assurer le bien être de tout un peuple !