Lettre ouverte à la Direction de l’UNIL suite à la venue d’Emmanuel Macron

Mesdames et Messieurs les Vice-rectrices, Vice-recteurs, Recteur et Secrétaire général,

En tant que membres de la communauté universitaire, issu·e·s de plusieurs catégories (corps estudiantin, corps intermédiaire, personnel administratif et technique), nous nous indignons de la plateforme politique offerte à Emmanuel Macron, qui pilote un gouvernement dont les actions sont, plus souvent qu’à leur tour, contraires aux valeurs défendues par l’Université de Lausanne. Nous exprimons ici notre questionnement vis-à-vis de la tenue de cet évènement, tant sur le fond que sur la forme. Son organisation a témoigné d’un certain mépris vis-à-vis du Plan d’intentions, ainsi que d’une partie de la communauté universitaire. Cet évènement s’est apparenté à un meeting politique, soutenu par une Direction multipliant les révérences verbales envers un président déjà suffisamment glorifié par la classe politique. Le discours macronien était paternaliste et bien léché à la langue de bois. Les questions du public étaient triées sur le volet et les contestations passées sous silence.

Certes, la visite des présidents suisse et français au sein de notre Alma Mater a suscité un grand engouement, vivement célébré par la presse, la Direction et certains services. De plus, des étudiant·e·s sont venu·e·s en nombre écouter les discours. Cependant, l’augmentation temporaire de la cote de popularité de notre institution ne devrait pas être obtenue au détriment des valeurs qui sous-tendent le Plan d’intentions ! En effet, la politique menée par le gouvernement Macron va à contre-courant des valeurs défendues par la Direction de l’UNIL dans 4 des 5 grands enjeux sociétaux (exception faite du domaine numérique). Ci-après, nous citons quelques exemples de cette incohérence.  

Premièrement, E. Macron a tenu le 16 novembre un discours assez consensuel sur la transition écologique, prônant notamment la sortie du charbon et du gaz, osant même parler de sobriété énergétique. Cependant, ses promesses politiques sur le plan environnemental ne sont généralement pas tenues. Un bilan quinquennal très insuffisant sur ces points a été mis en évidence par plusieurs rapports officiels (Haut conseil pour le climat, Cour européenne des comptes, etc.) et par de multiples ONGs (dont Greenpeace France en 2022). Y sont notamment mentionnés la répression des mouvements écologistes et le maintien des subventions colossales aux énergies fossiles. De manière plus cohérente avec sa politique, E. Macron a évoqué la promotion du nucléaire et des technologies vertes, qui permettraient selon lui de maintenir la croissance et la compétitivité économique de l’Europe. Des scientifiques du monde entier, dont certain·e·s co-auteur·e·s du GIEC à l’UNIL, ont pourtant montré que la croissance infinie teintée de greenwashing ne résoudra pas la crise écologique. De plus, il nous semble incohérent de mettre en avant un discours aussi marqué par la doxa néolibérale, en parallèle d’initiatives qui cherchent à s’en démarquer, comme celle de l’Assemblée de la transition.

Deuxièmement, en termes d’égalité, thème phare tant de la Direction que de plusieurs groupes de recherche de l’UNIL, le gouvernement Macron est une catastrophe à de nombreux niveaux. Nous ne citerons que quelques exemples de 2023 : L’écriture inclusive, dont l’impact positif sur l’égalité de genre est étudiée dans les universités, balayée par E. Macron car « le masculin fait le neutre » ; La réforme des retraites avec le passage de l’âge de la retraite de 62 à 64 ans, avec la forte répression des manifestations de celleux s’engageant pour plus d’égalité ; Le soutien quasi-inconditionnel à l’État d’Israël, qui massacre la population gazaouie et viole les traités internationaux dans sa répression des attentats meurtriers du 7 octobre, comme déjà mentionné dans une pétition du Collectif Lausanne-Palestine ; Le durcissement de la loi sur l’immigration proposé par le ministre Darmanin. Sur ces deux derniers points, une hiérarchie des souffrances et des groupes sociaux a d’ailleurs transpiré du discours du 16 novembre. D’une part, il exprime une hiérarchisation des victimes du conflit Israël-Hamas (selon E. Macron, « La priorité est de libérer les otages israélien·ne·s ») et omet une partie des tensions xénophobes en France, en mentionnant la montée d’antisémitisme et passant sous silence l’islamophobie. D’autre part, il y aurait les bon·ne·s migrant·e·s, obtenant l’asile politique, et les mauvais·es, réfugié·es économiques… Cette perspective binaire est pour le moins simpliste, pour qui se targue d’enseigner à un auditoire le fonctionnement de l’Europe. Notons que la population immigrée fait, comme en Suisse, partie intégrante de la main-d’œuvre française dans les métiers dits essentiels.

Troisièmement, la Science, l’Éducation et la Connaissance ont été plusieurs fois mentionnées dans les discours du 16 novembre comme les panacées aux grands maux de notre époque. Comble de l’ironie, les sciences (naturelles comme sociales) ont été les grandes absentes du pseudo-débat qui nous a été proposé, tant dans les discours des présidents que ceux des membres de la Direction. L’occasion a été manquée de proposer à des scientifiques d’être de véritables interlocuteur·ices pour tenir sur scène la réplique aux présidents. Iels auraient pu les contredire, ou du moins les questionner sérieusement, et proposer une analyse des enjeux européens ancrée scientifiquement et académiquement. L’UNIL ne manque pourtant pas de spécialistes de science politique, de l’Europe, ou encore de la crise environnementale.

Quatrièmement, la crise du système de santé français a été aggravée par les décisions politiques du gouvernement Macron. L’austérité budgétaire généralisée a conduit à des suppressions de lits d’hôpitaux en 2021, à une insuffisance drastique du nombre de professionnel·le·s et à des déserts médicaux. Le démantèlement de la médecine préventive et la répression plus forte de la consommation de cannabis vont contre les recommandations des expert·e·s en santé publique, tant en termes de santé globale de la population qu’en termes d’efficacité budgétaire. En outre, l’année de la venue de E. Macron à l’UNIL coïncidant avec les 20 ans de la Faculté de Biologie et de Médecine, il aurait été intéressant d’ouvrir le débat sur la gestion du système de santé en France, en Suisse et en Europe durant ces 20 dernières années, avec l’intervention de spécialistes de l’UNIL.

Enfin, s’ajoutant aux aspects de contenu évoqués précédemment, nous dénonçons également la forme avec laquelle s’est déroulée l’organisation de cet évènement. Plusieurs bâtiments ont été réquisitionnés à court terme pour dérouler le tapis rouge aux présidents. Or, dans ces locaux étaient programmés des cours, des ateliers de médiation scientifique et des journées d’études, entre autres. Tous ces évènements ont été priés de se dérouler ailleurs, avec un préavis allant de 10 jours au mieux à 2 jours au pire, parfois même sans proposition de locaux alternatifs. Nous estimons que cette mise devant le fait accompli est méprisante du travail préparatoire effectué par les équipes responsables des activités programmées, et qu’elle a mis la pression sur le personnel administratif pour arranger les choses dans l’urgence. Enfin, les seules voix contestataires de l’évènements, sous la forme d’une manifestation pacifique (bien que revendicatrice) de 200 personnes, ont été maintenues à plusieurs centaines de mètres de l’évènement par la police, ses gaz et ses nasses, comme souligné dans la lettre ouverte publiée par le Groupe Regards Critiques le 29 novembre dernier.

Pour toutes les raisons évoquées, nous vous demandons, Mesdames et Messieurs, de vous interroger plus profondément sur la tenue de tels évènements à l’avenir. Parmi d’autres, les questions suivantes peuvent être posées : L’évènement ne sert-il pas principalement un agenda diplomatique et/ou un désir de popularité à court terme, au mépris des valeurs de l’UNIL ? S’il est néanmoins organisé, comment rendre l’évènement porteur de véritables débats sur les enjeux sociétaux et scientifiques, en donnant autant de place aux scientifiques qu’aux politiques ? Faut-il se précipiter et dérouler le tapis rouge, écrasant au dernier moment les éléments déjà installés par une partie de la communauté universitaire ?

Avec nos plus cordiales salutations,

Les signataires

NB. Cette lettre ouverte a été envoyée le 15 décembre à la Direction de l'UNIL en parallèle de sa diffusion comme pétition en ligne. Elle n’engage que ses signataires, et non pas les services ou départements auxquels iels sont affilié·e·s.