Ensemble contre la suppression de la Police à Cheval!!!

Henri Vivier

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2015-07-15 09:09

Le 15 juillet 2015

 

L'universalité du cheval

 

 

Il est un lieu commun de parler de l'immense avancée qu'a été, dans l'histoire de l'humanité, la conquête du cheval, c'est-à-dire sa domestication et son élevage dès la fin des temps préhistoriques. A l'issue de cette conquête, l'homme est parvenu à se hisser sur le dos d'un animal qui lui est, au bas mot, quatre à six fois supérieur en poids, en vitesse et en force… Qui n'a pas lu, dans les romans de "L'étalon noir", comment le héros de Walter Farley parvient, sur une île déserte, à enfourcher un jeune et farouche pur-sang qui est, avec lui, le seul rescapé du naufrage d'un paquebot…

Comme par un effet de levier, voilà que l'homme s'est approprié les qualités physiques de son compagnon. Depuis les activités pacifiques et pastorales de la surveillance des troupeaux bovins jusqu'aux ardeurs guerrières de la cavalerie militaire, il est juste de dire que le cheval a été et demeure l'associé des actions et des passions humaines. Telle est l'histoire de cette complicité plusieurs fois millénaire.

Mais à y regarder de plus près, ce n'est pas le cheval qui est entré dans l'histoire de l'homme, mais bien l'homme qui est entré dans celle du cheval.

 

Ce dernier, en effet, s'est vite montré indispensable. Sa valeur utilitaire s'est traduite de manière pécuniaire. Aux temps des Etats pontificaux, de Charlemagne à 1870, soit un millénaire, l'écu d'or du Pape représente la valeur d'acquisition d'une monture en bonne santé. Au XVIIème siècle, lors du commerce triangulaire, un cheval a une valeur marchande représentant celle de vingt esclaves. C'est dire si l'élément central de la transaction est bien le cheval : l'esclave, à qui est déniée la qualité d'être humain, est devenu une subdivision de la valeur monétaire du noble animal, à raison d'un vingtième ! Dans le domaine des repères spatio-temporels, le cheval s'est également imposé comme la référence majeure. Lors de la fondation des cités antiques, colonies grecques ou comptoirs phéniciens, la délimitation du périmètre d'une ville s'effectue à cheval. C'est donc avec lui et par lui que sont définies les proportions.

Il est la référence en matière urbanistique, pour la dimension des villes comme pour la largeur des artères. Il le devient aussi pour la délimitation de territoires plus vastes. En France, en 1790, l'Assemblée constituante divise les anciennes provinces en départements, selon la fameuse méthode d'une journée à cheval pour se rendre d'un point quelconque au chef-lieu de la nouvelle entité administrative et en revenir. Mieux : un peu plus tard, c'est pour lui, tout spécialement, que l'on retaille le tissu urbain. Dans le Paris des années 1860, alors que le pouvoir impérial se méfie du mouvement ouvrier naissant, le baron Haussmann crée les "grands boulevards". Ceux-ci ne sont pas tant destinés à magnifier l'ampleur d'une capitale ou à glorifier le règne de Napoléon III, qu'à permettre le passage des cuirassiers à cheval. De façon préventive, il s'agit d'empêcher l'édification des barricades. Dans l'action répressive, il est mis fin aux insurrections par une furieuse et définitive charge de cavalerie… Décidément, ce XIXème siècle fut le siècle de toutes les révolutions.

Les changements répétés et brutaux de régimes politiques reflètent et expriment de profondes mutations sociales, mais aussi industrielles et techniques. Le machinisme allait trouver dans l'industrie automobile sa forme la plus aboutie. Certes, il tue physiquement le transport hippomobile et remise définitivement les chevaux de trait. Mais, ce faisant, il ouvre l'ère du cheval-vapeur, cette unité de mesure des temps nouveaux. Et lorsque la puissance publique, toujours à court d'argent, prend conscience de l'intérêt qu'elle aurait à taxer une activité en plein essor, c'est encore le cheval qui sert de référence.

L'on sait que les alchimistes du Moyen-Âge avaient échoué dans leur tentative de transmutation du plomb en or. Les fiscalistes modernes, eux, réussissent à transformer un animal de nerf, de crin et de sang en une taxe exigible et bel et bien coercitive : le cheval-fiscal est né. Preuve en est que, même dématérialisé en unité de compte ou transformé en pistons de fer et soupapes d'acier, le cheval continue de hanter l'esprit des inventeurs et des législateurs, comme norme technique ou fiscale…

De nos jours, l'analogie entre les deux modes de transport, hippomobile et automobile, est subtilement cultivée par les publicitaires. Ceux-ci savent qu'à côté du thème éternel de la séduction, le cheval représente le meilleur élément de valorisation de l'image et, donc, la meilleure aide pour la vente d'une automobile. De façon récurrente, certains spots télévisés ou certaines affiches n'hésitent pas à mettre en scène un superbe "coupé" entouré de chevaux lancés au grand galop… L'on dit ainsi d'une voiture, comme s'il s'agissait d'une monture, qu'elle est puissante, nerveuse et racée. Poussant plus loin l'identification des "chevaux de fer" aux "chevaux de nerfs", la Maison Porsche utilise un blason comportant un cheval effrayé. De la même façon, sa concurrente italienne Ferrari a adopté pour emblème commercial un fougueux pur-sang, cabré à dextre, de sable sur champ d'or (1). Et lorsque ces deux célèbres marques rivales concourent en Formule 1, l'on parle tout naturellement d'elles comme d’écuries de courses, dont les champions vont s’entraîner, juste avant l’épreuve, au paddock…

Malice de l'étymologie, les vocables "étalon" et "étalonnage", qui désignent la vérification d'une grandeur, n'ont pas la même origine que l'animal "étalon", cheval entier destiné à la reproduction. Mais, si les mots sont au départ différents, les concepts, eux, se sont étrangement rapprochés au cours des siècles, dans ce long cheminement qui érige le cheval au rang de valeur de référence…

 

Si l'on y réfléchit, le cheval habite l'esprit de l'homme, son mental, ses rêves et ses désirs. Il y règne en maître souverain.

Cette évidence a trop longtemps été masquée par l'aspect physique de la position du cavalier, juché sur le dos de sa monture, et par l'illusion de domination qui en découle… C'est dire si les rapports d'influence, trop souvent analysés de façon apparente et sommaire, doivent être relativisés !

C'est que le cheval permet à l'homme de se situer pleinement dans le monde environnant. En Amérique du Nord, les autorités publiques continuent d'avoir recours à des unités de police montée, afin d'assurer la surveillance et la sécurité dans des milieux aussi divers que la jungle urbaine new-yorkaise ou les forêts canadiennes. Grâce au cheval, l'intervention de la police est rendue plus pertinente. La hauteur de vue dont jouit le cavalier, le contact direct qui lui est procuré avec le monde extérieur accroissent ses perceptions et sa capacité d'intervention, tout en renforçant un effet psychologique non négligeable.

Que l'on ne s'y trompe pas : il ne s'agit pas là d'une quelconque nostalgie ou de la conservation d'une tradition historique. Une patrouille de la police montée aux abords du Bronx n'a rien à voir avec une relève de la garde à cheval devant Buckingham Palace ! Le fait que des pays de jeune civilisation comme ceux d'Amérique du Nord, tout pétris de pragmatisme et de souci d'efficacité, maintiennent, au sein même de leurs Administrations, une pratique équestre vivante, montre bien la modernité et l'avenir du cheval dans les sociétés dites développées.

Le cheval, considéré comme le meilleur ami de l'homme, aide ce dernier à se situer dans ses repères spatiaux, dans son rapport à l'environnement.

Le cheval donne à l'homme sa vraie mesure, sa juste place. Le cheval optimise l'être et l'agir humains.

En deçà des limites permises par l'équitation, l'homme n'est pas encore lui-même. Il n'a pas atteint la vraie dimension de sa personne ni la pleine efficience de son action. Au-delà de ce qu'autorise l'art équestre, les dimensions sont manifestement trop vastes, trop écrasantes pour l'homme. En un mot, le monde devient alors inhumain. Preuve en est que le cheval, par son universalité même, humanise l'homme.

Mieux : celui-ci, devenu équitant, est aussi appelé à se dépasser, poussé vers le haut, appelé vers les valeurs du Bien, du Vrai et du Beau. La Guérinière, au XVIIIème siècle, a, mieux que quiconque, su définir la perfection esthétique de la monte : "La grâce est un si grand ornement pour un cavalier et, en même temps, un si grand acheminement à la science que tous ceux qui veulent devenir homme de cheval doivent, avant toute chose, employer le temps nécessaire pour acquérir cette qualité. J'entends par grâce un air d'aisance et de liberté qu'il faut conserver dans une posture droite et libre, soit pour se tenir et s'affermir à cheval quand il le faut, soit pour se relâcher à propos …"(2).

De la même manière que la forme exprime et reflète le fond, la recherche esthétique traduit ici une volonté de perfection morale. Dans sa dimension théologique, la Grâce est l'aide surnaturelle qui rend l'homme capable de remplir la volonté de Dieu. Ainsi, avec l'aide de la Grâce, le cheval permet et favorise l'accomplissement et l'ennoblissement de l'homme. Telle est la transition de l'état de cavalier au statut de Chevalier…

 

Henri VIVIER

 

 

(1) "Encyclopédie du cheval", sous la direction de Jean-François Chary, Jean-Pierre Vaissaire et Bernardine Cheviron, Editions Aniwa Publishing, Paris, 2001.

(2) "Ecole de cavalerie" (chap. IV), par François Robichon de La Guérinière, Imp. Jacques Collombat, Paris, 1733.